Les petites gens, ceux qui n’étaient pas plénipotentiaires, ne faisaient plus que ça. Cultiver leur jardin. Ils nous faisaient l’apologie des « petits plaisirs », les plaisirs inoffensifs avec les intimes. Ecosser les haricots verts. Sentir l’herbe sous ses pieds. Ils avaient parfaitement intégré le message ; rien de trop ambitieux surtout. Pour se faire une catharsis de masse, on avait inventé les faits divers. Et les éditions de bruisser du cri d’indignation de la vertu foulée aux pieds par les monstres, ceux qui tuaient, violaient, voire fumaient, buvaient ou conduisaient mal. On avait en toute occasion son monstre de poche à sortir en société. Après ça, une petite page de pub pour rappeler à la foule de consommer achevait d’apporter la paix sociale à moindre frais.

Pour ceux qui étaient un peu plus remuants, les jeunes surtout, on avait trouver plus fort : l’exhibition de leur vie privée sur la télévision, mais surtout sur le Net, la grande utopie du Web 2.0 communautaire et participatif (on ne lésinait pas sur les mots, ça non) via les weblogs, ou blogs. Ça les calmait un peu, ils s’occupaient à raconter leurs derniers achats sur la Toile, ça faisait de mal à personne. Ou alors ils racontaient leurs « passions », id est leurs centres d’intérêt, pas ce qui leur apportait joie céleste et tourments terrestres, ça non. En somme c’était la version 2.0 de la culture du jardin de Candide.

Seulement, cultiver son jardin, c’est aussi récolter ses fruits. Ici c’était stérile. Une bonne branlette d’ego. Je me branle l’ego, regardez moi me branler un peu l’ego, c’est bon, ça fait du bien, ah, ah, oui, mon ego jouit. La starlette de la désormais nommée blogosphère, celui qui accédait à une petite notoriété, récoltait surtout d’étranges borborygmes de type « kikou, chuis trop fan de ske tu fais, lol ».
Le monde de la blogosphère s’enrichissait de nouveaux habitants, les trolls, rustres habitants aux mœurs primaires qui étaient jaloux, aigris et frustrés, mais qui avaient avant tout la malheureuse manie de ne pas participer immédiatement à la branlette de l’auteur et de sa horde énamourée.
Ils pimentaient la branlette, avec leur comportement exotique. Un peu de malmenage qui regonflait l’ego.
C’était toujours plus facile de stigmatiser le vieux con qui nous emmerdait à pas aimer notre musique ou nos manières, le gros qui sentait mauvais, le fumeur qui nous empestait, que de se battre contre un État mondialisé qui ne montrait pas les règles du jeu. Au moins on avait l’impression d’exister.

Je le savais. Pourtant j’ai allumé mon ordinateur une fois de trop. Des titres putassiers, du racoleur, les lecteurs conviés dans la chambre à coucher en redemandaient. Des blogs où on exhibait son shopping, devenu activité culturelle à part entière. Des centaines de pages virtuelles qui racontaient qu’elles n’avaient rien à dire, un festival de branlettes d’ego qui devait faire comme un feu d’artifice de plaisir solitaire sous le ciel virtuel.
Du lisse, du propre, éventuellement un peu de sexe, maîtrisé, épilé, aminci, rajeuni, botoxé. Pas une page qui dépassait des autres, le gel de la célébrité éphémère collait tout aussi bien le cul que celui qu’on met dans les cheveux.

Ce jour-là j’ai éteint la télé. J’ai brûlé les livres. J’ai jeté mon ordinateur à l’autre bout de la pièce et mes bourrelets, mes poils et moi sommes allés nous taper une bonne partouze, avant d’aller élaguer les pommiers du jardin.

Bukoskifa

Image: Teuthowenia pellucida